La gestion du temps, un enjeu managérial & RH par Alain Bock
« Que de temps perdu à essayer de gagner du temps »
Cette citation de Paul Morand reste incontestablement d’une actualité intemporelle. Des responsables d’entreprises et d’équipes qu’ils soient patrons, managers ou autres sollicitent très fréquemment des professionnels de l’accompagnement avec cette demande bien spécifique :
« Pourriez-vous nous aider à gérer notre temps ? Nous courons dans tous les sens, tout est urgent, le stress est permanent et nous avons l’impression que rien n’avance. » Le décor est planté : le temps qui manque, qui passe, qui file et défile et qui nous échappe. Dans ce genre de situation ma réponse est systématiquement la même : « Le temps ne se gère pas, il se mesure et il passe. » La manière dont le quotidien de ces responsables est organisé va considérablement influencer leur façon d’appréhender toutes sortes de situations chronophages surtout si elles ne répondent pas à certains principes de bonne gestion de leur organisation.
Rappelons ce principe essentiel qui prévaut mais semble avoir été oublié par certains depuis belle lurette : le management est avant tout une question de bon sens. Lorsque, avec les personnes que j’accompagne, nous creusons et essayons de comprendre pourquoi tout est devenu si urgent et quelles sont les raisons pour lesquelles elles restent perpétuellement en équilibre précaire face aux urgences plusieurs éléments apparaissent presque systématiquement. Deux grandes tendances se dégagent :
- Soit la structure n’est pas ou plus adaptée à la situation, manque d’effectif, de compétences ou d’expérience,… dont les origines sont très diverses et variées,
- Soit le management subit la situation et tend plutôt à régler les problèmes du quotidien en leur trouvant des solutions immédiates pour ensuite se pencher sur la difficulté suivante qui arrive toujours bien trop vite.
- Si le problème est structurel, les recherches sont spécifiques à chaque entreprise, à son organisation, sa culture, son évolution ou sa stagnation, … Par contre si l’origine des situations chronophages est liée au management, le constat est à la fois assez simple à établir et complexe à faire comprendre et changer. Et ce qui transparait s’exprime par de l’agacement ou de l’énervement voire du désarroi chez ces managers qui ne voient plus la situation de manière objective et encore moins rationnelle tant ils sont englués dans cette accumulation permanente de difficultés quotidiennes. Je les invite à se poser quelques questions introspectives comme par exemple :
Que n’arrivez-vous pas à faire faire ou à faire comprendre ?
Quelle est selon vous les raisons pour lesquelles vous perdez tant de temps au quotidien ?
Et les réponses sont souvent les mêmes :
« Je dois répéter je ne sais pas combien de fois la même chose pour que les tâches soient exécutées ou pour être certain que la même erreur ne soit plus commise. »
« Ils viennent constamment me trouver pour me poser des questions auxquelles ils ont les réponses alors il suffit d’un peu réfléchir ou de se souvenir de ce qu’on a dit. »
Et souvent, cette petite phrase vient s’ajouter à la précédente :
« C’est à croire qu’ils n’en ont rien à faire, qu’ils ne sont pas motivés ou qu’ils le font exprès, … »
Dans ce genre de situation, l’énervement puis une certaine forme de résignation empêchent le manager de garder une vision objective sur son quotidien. En analysant toutes ces difficultés rencontrées, plusieurs facteurs vont influencer la fluidité des actions mises en place.
En voici trois principaux :
- La clarté des consignes,
- La correction des erreurs
- Le suivi nécessaire à la mise en place de bonnes pratiques pérennes.
Bien souvent les consignes données ne sont claires que pour celui qui les donne.
– « Tu fais comme-ci puis comme-ça et voilà, ok pour toi ? »
Et la réponse sera la plupart du temps positive mais hélas il s’agit d’un oui de circonstance ou diplomatique. Certains collaborateurs n’osent pas dire qu’ils n’ont pas compris, d’autres croient avoir bien compris ou encore, ne voient pas l’intérêt de le faire et disent oui en pensant l’inverse. Si, à la base, la consigne ne fait l’objet d’aucun accord concerté sur la manière d’exécuter une tâche ou ne tient pas assez compte du niveau de compétence du collaborateur, le risque de dysfonctionnement peut devenir important.
Dans une telle situation, après avoir constaté que la tâche n’a pas été correctement effectuée voire même pas du tout, le manager devra à posteriori prendre sur lui, aller trouver son collaborateur, essayer de comprendre pourquoi cela n’a pas été fait comme convenu et tenter de conscientiser la personne de l’importance de cette action à réaliser. La clarté plus qu’approximative des consignes initialement données va de ce fait causer d’importantes pertes de temps et d’énergie.
Arrivent ensuite dans ce top 3, si j’ose écrire, les erreurs commises. Ici un principe issu de la PNL prévaut : toute difficulté a de facto une fonction positive. D’autres diront : faisons de ce problème une opportunité. Par contre en entreprise, les erreurs sont plutôt considérées comme des obstacles qui empêchent d’avancer, ralentissent l’organisation et deviennent préjudiciables à l’efficacité. Inutile de décrire la pression qui y est associée. Du coup, les équipes trouvent dans l’urgence comment réparer l’erreur en se disant que quand elles auront le temps, qui fait déjà cruellement défaut, elles se pencheront sur l’origine du problème pour comprendre ce qui s’est passé pour que cela ne se produise plus. Force est de constater que ce retour sur les évènements reste le plus souvent une déclaration d’intention plutôt qu’un fait.
Normal, ils n’ont pas le temps et puis après tout, c’est réglé, non ?
Une image empruntée aux soldats du feu illustre bien cette situation : « Au lieu de lutter contre plusieurs incendies, identifions en le foyer pour maîtriser tous les nouveaux départs de feux. » Ces fameux incendies que sont les erreurs du quotidien sont éteints au fur et à mesure qu’ils surviennent mais il est bien trop rare que leurs foyers bénéficient d’une analyse objective pour en identifier leurs origines. Pourtant beaucoup d’erreurs récurrentes et régulières restent désespérément sans analyse objective de leur origine, ce qui pourrait aider à changer la donne. Le troisième élément qui fait perdre un temps fou aux responsables d’équipes s’appelle le suivi des consignes et des tâches à exécuter. Le suivi est pourtant indispensable afin d’assurer la pérennisation de bonnes pratiques. Croire que c’est acquis parce qu’au bout de deux ou trois contrôles, l’action demandée est exécutée est une des erreurs de management les plus courantes. Il est vrai qu’il y a tant d’urgences, de dossiers en retard, d’autres choses très importantes à faire qu’encore trouver du temps pour s’assurer que tout ce qui fonctionne continue à fonctionner devient un luxe que personne ne peut ou ne veut pas se permettre. A force de ne plus contrôler ce qui est censé bien fonctionner et bien installé, l’importance donnée à certaines de ces actions s’estompe peu à peu. Le temps pour qu’une tâche commence à être oubliée est bien plus rapidement que le temps nécessaire à sa mise en place. Le retour à la situation antérieure refera très vite surface. Chassez le naturel, il revient au galop. Et les checklists ou les rapports de contrôle ne sont que des solutions provisoires et fort temporaires s’ils ne font pas l’objet du suivi régulier. A cela s’ajoute, la manière dont le feed-back et le debriefing prendront leur place et qui fera toute la différence. Il s’agit aussi d’une excellente manière d’impliquer et de montrer naturellement et en cohérence sa reconnaissance à un collaborateur.
- « Montre-moi, explique-moi comment tu as fait ? »
- « Qu’est-ce qui a été facile ou difficile et pourquoi ? »
De ce genre de discussion nait très souvent une autre relation bienveillante et motivante : - « Mon manager me demande mon ressenti des actions qu’il me confie, il s’intéresse réellement
à moi. »
Le management reste avant tout le fait d’êtres humains avec leurs forces et leurs faiblesses. Aujourd’hui que de temps perdu à contrôler ce qui ne va pas plutôt qu’à pérenniser ce qui fonctionne. La notion de temps est fortement liée à celui perdu en actions correctives ou réparatrices de consignes pas assez claires ou non respectées. Le temps devient un investissement quand il consiste à installer durablement une bonne pratique. Les forces vives d’une entreprise seront très sensibles à ce style de management en lien direct avec leur quotidien : les jeunes talents, les collaborateurs discrets et volontaires, ceux qui font bien leur travail sans faire de vagues et qui assurent la stabilité et l’homogénéité du groupe. Ils méritent toute l’attention de leurs managers car ils sont le ciment de l’édifice construit. Dans ces éléments se cachent beaucoup de talents prêts à s’exprimer et à apporter d’autres nouvelles pierres à l’édifice voire même de vraies bulles d’oxygène.
Investir du temps dans de bonnes explications comprises avec un suivi régulier, programmé et concerté sont les principes de base d’un management de bon sens.
Commencez par vous poser cette question : En quoi suis-je certain que la consigne que je donne soit bien comprise par celui à qui je la donne ?
À présent, il n’y a plus qu’à investir en temps pour ne plus en perdre.
Alain Bock Mars 2022