Stéphane Gueguen, fondateur HappinessWork
L’équipe de l’AfterWork RH a rencontré Stéphane lors de l’AfterWork RH Bordeaux du mois de juillet sur le thème de la qualité de vie au travail.
Ce sujet fait beaucoup parler de lui ces dernières années, Stéphane Guéguen a fondé HappinessWork et nous livre sa vision du bien-être au travail en y mêlant ses observations à l’international, son regard bienveillant … et critique.
Qu’est-ce qu’Happiness@Work ?
J’ai fondé Happiness Work suite à une formation sur le bonheur au travail au Danemark. Ma conviction, c’est qu’il est nécessaire de (re)valoriser l’Humain dans l’Entreprise et que les mots « Plaisir » et « Travail » peuvent cohabiter pour ceux qui le souhaitent. Happiness Work, c’est plus qu’une entreprise, c’est une aventure dans laquelle nous aidons les entreprises à ce que leurs collaborateurs deviennent des explorateurs et des acteurs de leur propre épanouissement au travail au service du collectif. La performance collective au travers de l’épanouissement individuel.
Je me suis notamment formé à des méthodes agiles et ludiques et en particulier au Lego Serious Play qui suscite beaucoup de curiosité et répond parfaitement au cahier des charges d’une entreprise qui souhaite rendre ses collaborateurs acteurs et responsables.
Aujourd’hui, en plus d’accompagner ces entreprises dans leurs transformations, je me suis fixé deux autres challenges que sont la création d’un collectif d’entreprises sur le bien-être au travail sur le territoire de la Nouvelle Aquitaine et l’organisation des Journées Internationales du Bien-être Au Travail (JIBAT) dont la première édition a eu lieu en juin 2018.
A partir de ton expérience à l’international, quelles sont tes observations marquantes ?
J’ai pu observer que les pays qui ont le plus d’avance en matière de « mieux-être au travail » sont les pays nordiques notamment sur la notion de confiance et d’autonomie. Dans ces pays, la règle est de faire confiance et d’observer ensuite les conséquences et si ce choix était le bon. Sur un point de vue politique, les citoyens nordiques sont généralement fiers de payer des impôts car cela signifie pour eux qu’ils contribuent au bien-être du pays. Nous sommes loin de cet état d’esprit en France.
Personnellement Stéphane, quelle est ta vision de la Qualité de Vie au Travail (QVT) ?
Selon moi, la QVT intègre le bien-être au travail et le mal-être au travail (autrement dit les risques psychosociaux (RPS), la gestion du burn-out, l’absentéisme). Le bien-être au travail doit être réfléchi en amont pour éviter d’atteindre ce mal-être au travail.
En effet, si la personne se sent bien dans l’entreprise, elle a beaucoup moins de raisons d’être dans un état de burn-out. Tout se joue donc dans la prévention.
Il me semble aussi que la QVT se réfère beaucoup plus à des réglementations tandis que le bien-être ou mieux-être au travail est surtout fondé sur des études mais également sur des convictions personnelles.
Pourquoi les entreprises auraient intérêt à s’y mettre ?
Les entreprises ont intérêt à s’y mettre, et de manière sincère, pour de multiples raisons.
Tout d’abord, de plus en plus de personnes tiennent compte des conditions de travail, le bien-être en tête, dans le choix de l’entreprise dans laquelle ils veulent travailler. Le temps où seul le salaire comptait est bientôt révolu !
Une autre raison est la rétention des talents. Si une entreprise ne veut pas perdre ces meilleurs éléments au profit de la concurrence, elle devra porter une attention et une considération toute particulière à ses salariés. Les massages et le babyfoot n’étant pas la meilleure des approches, vous l’aurez compris !
Une troisième raison, c’est le choix des clients. Nos choix de consommateurs vont de plus en plus se porter vers les entreprises dans lesquelles il fait bon travailler. Au même titre que l’importance de l’impact environnemental d’une entreprise dans le choix du consommateur, le bien-être au travail deviendra un argument clé pour le consommateur.
Enfin, de plus en plus d’investisseurs, de fonds d’investissement prennent le bien-être au travail en compte dans leur choix d’investissement. C’est le cas de Sycomore par exemple.
En résumé, l’ordre logique que doit choisir l’entreprise de demain, c’est 1/les collaborateurs, 2/les clients, 3/les actionnaires.
Pour quelles raisons une réflexion stratégique de la QVT dans une entreprise peut-elle nourrir la marque-employeur et l’expérience collaborateur ?
Le terme « stratégique » me dérange un peu car il peut faire penser à du « Happy Washing ». S’il s’agit d’initier une transformation dans le seul but de (re)valoriser son image de marque, alors on est en plein du « Happy Washing ». Cet objectif n’a à mes yeux aucun sens.
En revanche, s’il s’agit d’une réflexion sincère et authentique, si pour l’entreprise l’idée est de fidéliser ses meilleurs éléments, il faut alors réfléchir sur du long terme en faisant évoluer les mentalités. L’entreprise verra alors sa marque employeur et son expérience collaborateur améliorés naturellement.
Il faut aussi faire attention à la sur-promesse. Il est même préférable de sous valoriser l’expérience collaborateur et de miser sur la transparence plutôt que le contraire.
Les entreprises aujourd’hui misent trop souvent sur la cerise sur le gâteau pour attirer alors que les fondements sont essentiels et ils résident dans la culture de l’entreprise.
Quelles difficultés une entreprise peut rencontrer dans la mise en œuvre ?
L’une des difficultés majeures, c’est le manque de conviction et/ou d’implication du PDG. Si un projet n’est pas porté par la Direction, si les membres de cette Direction ne montrent pas l’exemple, alors il y aura naturellement des difficultés sur la mise en œuvre. Néanmoins, si on accepte de démarrer « petit », avec son équipe, son service, sa division, il est possible de faire bouger les lignes.
De plus, il peut exister fréquemment un manque de communication en voulant aller trop vite. Il est aussi essentiel de communiquer sur ce qui va mal, accepter de dire « on ne sait pas encore » et de donner du sens.
Enfin, toutes les personnes qui contribuent à ce type de projet doivent être volontaires. Je préfère commencer avec 5% de l’effectif de l’entreprise et avec des personnes motivées car les autres nous rejoindront quand ils verront les résultats. C’est aux volontaires de tirer les autres vers les hauts. Ce volontariat s’applique aux collaborateurs mais moins aux managers car la démarche concerne leurs équipes et leur participation est importante et essentielle. Le premier chantier à mener est généralement celui de la transformation managériale.
Comment mesurer une démarche QVT ?
Nous pouvons utiliser des KPI comme le taux de turn-over, le taux d’absentéisme, le délai de recrutement, le nombre de candidats qui postulent à une offre.
Il existe aussi plusieurs applications de mesure du bien-être au travail dans les entreprises :
- Audit classique tous les ans avec la création d’un baromètre social
- L’application d’Our Company qui mesure le bien-être du salarié par rapport à ce qu’il ressent et non ce qu’il perçoit. Le collaborateur répond à trois questions identiques chaque jour. Il est possible de voir les résultats des concurrents pour faire réagir les dirigeants d’entreprises dans leur démarche de bien-être. Cette application permet d’identifier les sources des problèmes (management, etc).
Un exemple d’intervention client qui t’a marquée ?
Je suis intervenu pour les magasins Jules peu de temps avant l’annonce de leur transformation. Le souhait du siège social est de rendre les équipes plus autonomes. Je les ai donc fait réfléchir sur leurs attentes concernant la transformation qu’ils étaient en train de vivre. Ils ont tous dit que la transformation était nécessaire mais ils reprochaient un manque de communication. Certains collaborateurs pouvaient avoir au départ un état d’esprit assez individualiste, et il existait assez peu de communication entre les magasins. Ils ont alors pris conscience lors de l’atelier de ce que sont l’entraide et l’autonomie et de leurs impacts positifs. Les équipes ont alors fait plusieurs propositions qui ont bluffé leur responsable !
Quels seraient selon toi les facteurs clés de succès de la mise en place d’une démarche QVT ?
Tout d’abord, j’ai envie de croire que l’impulsion d’une telle démarche ne doit pas obligatoirement venir de la Direction même si c’est évidemment préférable. Les collaborateurs ont souvent des freins psychologiques qui les empêchent de développer ce type d’initiative comme la peur de la hiérarchie et de parler avec elle.
Ensuite, le test & learn est essentiel pour transformer un département, une équipe. On expérimente, on observe ce qui ne fonctionne pas, et on fait mieux.
Comment vois-tu l’avenir de la QVT ?
Ce poste de responsable du bonheur au travail ou responsable transformation deviendra, je pense, aussi important qu’un DRH.
La vigilance à avoir est la raison de la création de ce profil dans l’entreprise, et sa finalité pour ne pas tomber dans le « happy washing » ou l’injonction au bonheur. Chacun doit être libre de s’épanouir ou non dans son travail.